Bertrand Piccard : « La transition écologique sera rentable ou ne sera pas »

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Deuxième vol d’essai de Solar Impulse 2, au-dessus d’Abou Dabi (EAU) le 1er mars 2015.

Politique et économie
Point de vue
Durée de lecture : 7 min 7 min
17/10/2023

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Les solutions pour une ville agréable pour ses habitants et supportable pour la planète existent : Bertrand Piccard les a trouvées ! Sa Fondation Solar Impulse les expose à Paris jusqu’en janvier 2024. Leur point commun ? Être écologiques, avoir fait leurs preuves et être rentables. Car pour l’auteur du premier tour du monde en avion solaire, cette dernière condition est indispensable pour convaincre les décideurs de passer à l’action.
Bertrand Piccard, président de la Fondation Solar Impulse.

La Fondation Solar Impulse présente à Paris depuis le 20 septembre l’exposition « Ville de demain, une exploration en 1000+ solutions » : dans quel objectif ?

Nous avons monté cette exposition pour répondre à l’angoisse climatique générale en nous appuyant sur les solutions. En ne parlant que du problème et de sa gravité, on engendre de la dépression et de la paralysie alors que nous avons de nombreuses possibilités d’agir. Les présenter dans un endroit comme la Cité des sciences et de l’industrie de Paris nous amène, en outre, à toucher les enfants et les jeunes. Or, ils devront demain choisir un métier. Pourquoi pas un métier de la transition écologique, où nous manquons cruellement de professionnels qualifiés ? Il n’y a pas assez d’installateurs de panneaux solaires, de foreurs de puits de géothermie, d’insufflateurs de ouate de cellulose… Si, aujourd’hui, nous décidions de déployer massivement les 1 000 solutions actuellement présentées à Paris – et c’est ce qu’il faudrait faire – nous ne trouverions pas les personnes compétentes. Il faut donc montrer aux jeunes où sont les métiers d’avenir et leur donner envie de les choisir. Pourquoi pas en donnant à ceux-ci un nouveau nom, comme « techniciens du futur » ? Ainsi, la différence serait toute faite avec les métiers du passé liés, par exemple, aux énergies fossiles. Au contraire de ce qu’on veut parfois nous faire croire, le monde n’est pas virtuel. Pour accueillir les nouveaux venus sur la planète et faire face à l’exode rural, il faudra construire tous les quatre mois l’équivalent de Manhattan. La seule question qui se pose, c’est : quelles techniques allons-nous utiliser ? Celles qui vont améliorer la situation ou celles qui vont la dégrader ? Bien sûr, les politiques et les industriels ont un rôle décisif à jouer dans cette décision. C’est pourquoi ils sont aussi invités à l’exposition !

Les solutions pour une ville agréable à habiter et supportable pour la planète existent donc ?

Non seulement elles existent, mais elles sont nombreuses, pour toutes les géographies et toutes les économies. À ce jour, la Fondation Solar Impulse en a labellisé 1 530, et ce nombre n’est pas clos (voir encadré). Nous ne les avons pas inventées : nous sommes allés les chercher dans le monde entier et pour tous les domaines : énergie, construction, transports, eau, déchets, etc. Et je parle bien de solutions, prêtes à être mises en œuvre, pas de projets plus ou moins lointains.

C’est l’association du critère économique et du critère écologique qui fait l’intelligence d’une solution.

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Vous insistez beaucoup sur leur rentabilité…

Soyons réalistes : la transition écologique sera rentable ou ne sera pas. De notre point de vue, c’est la meilleure façon de la rendre attrayante pour les décideurs de ce monde qui raisonnent en termes de création d’emplois et de profit industriel. Le point de vue du consommateur compte aussi. Quand vous isolez votre maison pour réduire vos factures de chauffage, vous amortissez votre investissement en quelques années. Cela prend peut-être un peu plus de temps avec des matériaux non polluants, un peu plus chers, mais de la même façon vous obtiendrez un bénéfice. C’est l’association du critère économique et du critère écologique qui fait l’intelligence d’une solution. Entre les idées écologiquement géniales mais hors de portée et les idées low cost mais écologiquement néfastes, il existe une large fourchette de possibles. C’est là qu’il est efficace de se situer et que se retrouvent nos solutions labellisées. Prendre en compte l’exigence de rentabilité, c’est répondre à la question si souvent opposée à la transition écologique : comment allons-nous financer tout ça ? Eh bien comme tout investissement, qui répond à des besoins en générant en retour les bénéfices qui vont l’amortir. C’est l’une des bases de l’économie, qui fait la différence entre investissement et dépense.

La culture de l’uniformité technique nous conduit au désastre. Renouons avec celle du foisonnement.

Justement, ne vaudrait-il pas mieux sélectionner un petit nombre de solutions ? Cela faciliterait leur mise à l’échelle et donc leur rentabilité.

L’intérêt d’une solution ne dépend pas uniquement de sa mise à l’échelle. Il faut prendre en compte l’ensemble de ses bénéfices. Installer une petite unité de production d’énergie dans une région reculée plutôt que de l’alimenter à partir d’une grande infrastructure lointaine n’améliore pas seulement les conditions de vie de ses habitants. Cela crée aussi des emplois locaux et, derrière eux, du développement. C’est d’ailleurs parce que nos décideurs sont obsédés par la solution miracle que nous n’avançons pas assez vite. Le miracle, c’est qu’il y ait autant de solutions ! Je compare parfois la transition écologique à un immense puzzle, dont toutes les pièces comptent, du développement de vastes parcs éoliens offshore à l’effort d’un seul data center pour valoriser sa chaleur fatale au lieu de payer des fortunes de climatisation. Le bon sens est la vertu la plus importante. Chacun comprend spontanément que la chaleur présente à l’état naturel sous ses pieds vaut mieux que celle produite en brûlant du pétrole. Chacun comprend que laisser entrer le soleil dans un bâtiment pour le refroidir ensuite n’a aucun sens. La culture de l’uniformité technique nous conduit au désastre. Renouons avec celle du foisonnement. Elle redonne à chacun les moyens d’agir à son échelle. C’est bien plus motivant. Et ce que nos décideurs ont à faire, c’est modifier la loi pour qu’elle libère ces forces d’avenir au lieu de favoriser celles du passé.

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Parmi les solutions labellisées par la Fondation Solar Impulse, quel serait votre « top 3 » ?

C’est un choix difficile, car nos experts ne labellisent pas une solution sans de solides raisons. Me limiter à la construction – notre sujet ici – va me faciliter un peu les choses… J’aime beaucoup les agrafes Dramix® qui éliminent barres et treillis dans les bétons armés préfabriqués. Outre l’économie d’acier, elles peuvent réduire de 35 % les émissions de CO2 en optimisant la résistance et la taille des éléments. Je citerai aussi Airium™, qui permet de produire sur le chantier une mousse minérale isolante avec les matériaux qu’on y trouve, comme de la terre. Pour les raisons évoquées plus haut, je retiendrai aussi le vitrage dynamique SageGlass, qui se teinte électroniquement pour contrôler la lumière du jour. C’est d’ailleurs une innovation de Saint-Gobain. Permettez-moi quand même de modifier votre question pour faire entrer dans ce classement Accenta Géostockage, un système de stockage intersaisonnier de chaleur, et Celsius Energy, qui développe une géothermie urbaine de nouvelle génération.

La fondation et le label Solar ImpulseEn 2016, l’explorateur Bertrand Piccard boucle le premier tour du monde en avion solaire. Autour de ce vol historique, il crée la Fondation Solar Impulse, dont l’objet est d’identifier les solutions innovantes à notre disposition pour relever les défis écologiques auxquels le monde fait face. Il peut s’agir d’un produit (physique, numérique ou financier), d’un service, d’un processus de production ou d’une combinaison de ces éléments. Cette solution doit contribuer aux objectifs de développement durable (ODD) définis par l’Organisation des Nations unies. Elle doit être déjà commercialisée ou viser une commercialisation dans les cinq ans. Elle doit être rentable, c’est-à-dire améliorer, sur sa durée de vie, la situation économique de son producteur comme de son client. Sur cette base, un jury de 370 experts indépendants lui attribue le label « Solar Impulse Efficient Solution », gage de crédibilité et de visibilité. À ce jour, 1 530 solutions ont obtenu le label.

Labellisée par la Fondation Solar Impulse, la startup Dramix® remplace, dans les bétons armés préfabriqués, les habituelles barres et treillis par des fibres d’acier, permettant de créer des éléments de construction aussi performants avec moins de béton, d’acier et d’eau.

Vous vous êtes toujours revendiqué comme explorateur : après l’aventure Solar Impulse et son tour du monde à la seule énergie du soleil, avez-vous de nouveaux projets ?

Même si l’empreinte carbone du trafic aérien n’est que de 3 %, il faut tout faire pour la réduire. Je prépare donc un nouveau tour du monde, cette fois dans un prototype d’avion à hydrogène. Sa construction commence début 2024 et… J’en dirai plus le moment venu ! Qu’on la vive sur terre, en l’air ou dans les mers, la transition écologique est une aventure passionnante.

Crédits photos: ©Solar Impulse/ Stefatou/ Rezo.ch, ©Philipp Böhlen, ©Bekaert

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